Arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes : Poker, un retour à la raison ?
Comme nous l’écrivions il y a quelques mois, le Juge de l’impôt a déclaré, par deux décisions du Tribunal administratif, datant de janvier et février 2024, deux joueurs taxables par suite de l’obtention, pour chacun d’eux, d’un unique gain exceptionnel.
Dans le premier cas, le Tribunal a retenu une pratique habituelle, la participation à un tournoi d’envergure, et une victoire lors de celui-ci, qui matérialiseraient une maitrise du poker.
Dans ce cas d’espèce, il est à noter que le Juge a totalement ignoré l’existence de déficits récurrents avant et après l’obtention du gain exceptionnel litigieux.
Dans une deuxième affaire, le même Tribunal se contente de retenir la participation du joueur à 1 300 parties en une année, sur 133 jours et la perception de gains bruts (avant déduction des mises…), pour une valeur globale de 100 000 €, sans même justifier d’une maîtrise significative de l’aléa.
Les cartes viennent d’être rebattues dès lors que la Cour administrative d’appel de Nantes a annulé le jugement lié à cette seconde affaire, ce que nous développerons (partie II) après avoir rappelé la position de la Cour suprême sur le sujet (partie I).
I. La position du Conseil d’État :
D’après le Conseil d’État, les gains issus de la pratique habituelle du jeu de poker sont imposables dans la catégorie des BNC dès lors que :
- Le joueur peut maîtriser de façon significative l'aléa inhérent à ce jeu ; et
- Cette activité lui procure des revenus significatifs.
Le fondement du caractère taxable des gains perçus par les joueurs, d’après la position du Conseil d’État, est notamment le caractère régulier des profits des joueurs, ces derniers multipliant les revenus conséquents.
II. Vers une meilleure compréhension de la variance et de la maîtrise significative de l’aléa, par le Juge de l’impôt :
Comme indiqué précédemment, par deux décisions, datant de janvier et février 2024, le Tribunal administratif de Caen a considéré deux joueurs comme taxables par suite de l’obtention, pour chacun d’eux, d’un unique gain exceptionnel.
La Cour administrative d’appel de Nantes saisie de cette seconde affaire vient, au contraire, d’annuler les impositions subies par le joueur en estimant que :
« Il résulte de l'instruction que M. A... a, au cours de l'année 2018, participé à environ 1300 parties de poker en ligne au cours d'une période de 133 jours à l'occasion desquelles il a misé la somme globale de 30 583,91 euros et obtenu des gains à hauteur de 137 393,94 euros ainsi que cela ressort du relevé de l'autorité nationale des jeux.
Cependant, il résulte aussi de l'instruction que M. A... n'a réalisé qu'un seul gain important d'un montant de 121 750 euros lors d'un tournoi en ligne au cours de l'année 2018 et qu'en dehors de cet unique gain ponctuel, il a perdu globalement au cours de cette même année environ 17 000 euros. Dans ces conditions, alors que la pratique du jeu de poker par M. A... au cours de l'année 2018 ne permet pas de révéler une maitrise de l'aléa inhérent à ce jeu lui procurant des gains significatifs constitutifs d'une source régulière de revenus, le service ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'existence d'une activité occulte. Par suite, M. A... est fondé à soutenir que les gains qu'il a perçus en 2018 ne présentent pas le caractère d'un revenu taxable sur le fondement des dispositions de l'article 92 du code de général des impôts dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. »
La Cour a donc bien cerné la réalité de la pratique du poker, estimant ainsi qu’un gain exceptionnel ne doit pas fonder une taxation si l’administration n’est pas en mesure de démontrer une maîtrise significative de l’aléa.
L’intérêt majeur de cette décision est de rappeler qu’un one-time (un gain exceptionnel) ne suffit pas à faire entrer le joueur dans le champ de l’impôt, ce qu’avait d’ailleurs très bien expliqué le Conseil d’Etat dans sa décision de 2018.
Attention toutefois, nous ne doutons pas que l’administration fiscale tentera régulièrement de taxer des joueurs dès qu’ils parviennent à obtenir un gain important, sans trop se soucier de justifier de son éventuelle maîtrise de l’aléa.
Nous conseillerons donc toujours aux joueurs de poker, en cas d’obtention d’un gain important, même exceptionnel, de s’assurer du caractère non taxable de celui-ci, sous peine de lourdes déconvenues quant à la position de l’administration fiscale à ce sujet en cas de contrôle.
Le cabinet CGC Avocats se tient à votre disposition pour valider votre situation fiscale de joueur de poker.
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